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Corpus
Corpus
– du latin corpus : le corps –
désigne, ici, l’entité
animale, l’individualité du corps ; le
corps parlant –
bavard – de l’animal social qu’est
l’humain.
Nous
vivons une civilisation du langage - qui a bien des vertus -, mais
qui laisse peu de place à la liberté des corps,
aussi bien à leur
mobilité physique qu’à leur expression
psychique. La condition
humaine doit être mentale : pensée,
prononcée, écrite, pour
avoir reconnaissance d’existence. Même
l’action artistique doit
se justifier verbalement.
Venant
du journalisme et de l’écriture, j’aime
observer mes frères
humains avec une fausse distance mais un vrai respect. J’aime
que
ma caméra se mélange à eux pour
qu’ils s'emparent du film,
que ce soit de façon inconsciente, via une expression
spontanée, ou
de façon maîtrisée, via
l’expression de savoir
faire, ou encore par le
biais d’histoires, qu’ils en soient ou non les
auteurs. Quiconque
se trouve devant la caméra est acteur de fait.
Venant
de la photographie, j’aime le cinéma qui magnifie
l’image dans
son mouvement. Le mouvement des corps, les expressions humaines dans
leur cadre, dans leur décor, dans leur jus, sont au centre
de mon
regard.
La
parole pour importante qu’elle soit, parole de
vérité ou
d’imagination, m’apparaît secondaire.
C’est l’image qui doit
donner son sens à la parole et non l’inverse.
Au
commencement, le cinéma muet
Il
ne s’agit pas de dire que tout n’était
qu’improvisation, mais,
quand bien même y avait-il un scénario, un
découpage, toutes
sortes de documents décrivant les plans du film,
l’acteur, au
moment du tournage n’avait que sa peau pour
défendre son rôle et
non pas le texte d’un autre, les dialogues d’un
scénariste.
Le
réalisateur derrière sa caméra devait
juger de la qualité du
plan, non pas à partir d'une restitution parlée,
mais à
partir de l’expression visuelle des acteurs et de leur
empreinte sur
l’image. Le cinéma était image, tout
image, photographie animée.
Le sens du film reposait tout entier sur le pas de deux –
muet –
entre l’acteur et le réalisateur.
Il
aurait été impossible d’anticiper au
sein d'un synopsis,
fusse-t-il de la meilleure rédaction, la charge
émotionnelle des Temps modernes, que
l’on
doit aux images et à leurs
enchaînements réalisés par Chaplin.
Quand
Flaherty tournait son film documentaire, Nanouk
l’esquimau,
jusqu’à quel point avait-il en tête la
trame narrative de son
film ? A cette question, somme toute secondaire au moment du
tournage, Flaherty en opposait une autre, plus fondamentale :
quelle implication pouvait avoir les esquimaux dans la
réalisation
du film ?
Le
cinéma documentaire a su rester muet longtemps, se suffisant
du
commentaire en post-production. Mais l’avènement
du cinéma
sonore, dans les années 1930 a bouleversé le
cinéma de fiction.
Le
célèbre Chantons sous la pluie,
de Gene Kelly et Stanley
Donen, illustre avec élégance, mais non sans
cruauté, le
bouleversement qu’a représenté
l’émergence du son en parallèle
de l’image. Avec
le
recul du temps, je trouve que le meilleur du film ne se situe pas
dans le chantons, mais plutôt dans la
danse, singulièrement
celle de Gene Kelly, un soir, dans une rue, sous la pluie.
Le
film lui-même décrit avec un humour acide
l’écroulement d’un
univers cinématographique qui ne disait pas grand chose
d’autre
chose que ce qu’il montrait, mais, il faut bien le
reconnaître,
avec une force que le cinéma sonore peine encore
à égaler.
Demain,
le cinéma numérique
Au
plan technologique, la chose est pliée. Le
numérique s’est
imposé. Mais l’économie du
cinéma est loin de d’avoir
digéré cette innovation majeure.
Une caméra numérique de la taille des anciennes
caméras muettes de
reportage, en 16 mm, donne des films sonores de qualité
grand écran,
avec une souplesse d’utilisation
phénoménale. Une seule caméra,
tenue à la main par un seul opérateur, peut
suffire pour tout un
film.
Et
surtout, le coût de la minute de tournage,
délivrée des mètres de pellicule,
est absolument dérisoire. Le montage qui constitue la
colonne
vertébrale du film, peut s’effectuer avec un
ordinateur à peine
plus gros que celui qu’utilise un écrivain.
L’écriture
cinématographique a pratiquement rejoint les conditions de
l’écriture tout court.
Les
rapports entre acteurs et réalisateurs prennent un tour
moins
dichotomique, plus fusionnel, depuis la première minute de
tournage,
jusqu’à la fin du montage qu’ils peuvent
réaliser ensemble. La frontière entre
documentaire et fiction devient poreuse.
Pour
ma part, je ne veux pas connaître la fin du film avant de
l’avoir
tourné. Moi seul, je n’ai rien à dire
mais tout à montrer.
Devant la caméra, les acteurs sont libres, totalement
libres, avec
leurs corps, avec leurs voix, avec leurs âmes. Advienne que
filmera.
Jean Miaille
www.jeanmiaille.fr
contact
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